Lettre à Cécile, lue par ses frères, Luc et Robin, lors du rassemblement du 28 janvier

Cécile adorée,

Nos vies ont basculé le 7 mai 2022, quand tu as été arrêtée en Iran. Du jour au lendemain, tu t’es retrouvée prisonnière dans un pays que tu as à peine eu le temps de découvrir. Un pays dont tu ne maîtrises ni la langue, ni les codes. Cela fait bientôt neuf mois et nous n’avons que très peu de nouvelles de toi.

Les témoignages d’anciens détenus sont les seules sources d’information fiables à notre disposition. Ces témoignages nous permettent d’essayer d’imaginer ce que tu vis mais nous laissent toujours avec plus de questions que de réponses.

Comment résistes-tu à une telle pression psychologique ?

Nous savons que tu as été placée à l’isolement cellulaire pendant des mois. Tu as sans doute subi des interrogatoires sans fin et des menaces. Nous ignorons si tu as la moindre idée de ce qui t’arrive. Nous ignorons si tu as conscience d’être une otage d’État. Tu risques d’être condamnée à une peine terrible alors que tu es innocente. Tu es toujours privée d’avocat indépendant.

Tu as été séparée de ton conjoint du jour au lendemain. Nous savons que tu n’as pas de nouvelles de lui. Tu n’as pas eu de nouvelles de ta famille pendant plus de sept mois. Tu es privée de tout contact avec l’extérieur de la prison. Depuis 9 mois, seuls une visite consulaire et un appel téléphonique de quelques minutes t’ont été accordés. Durant ces brefs instants tu n’as jamais pu t’exprimer librement. En plus des privations inhumaines auxquelles tu fais face, tu dois être morte d’inquiétude pour ceux que tu aimes.

Quel est ton état de santé ?

Nous ignorons si tu manges à ta faim. Nous ignorons dans quelles conditions tu dors : à même le sol ou sur un matelas. Nous ignorons dans quelles conditions d’hygiène tu es détenue. Nous ignorons si tu as accès à des produits de première nécessité. Tu n’es autorisée qu’à trois sorties dans la cour de la prison par semaine. As-tu les yeux bandés lorsque tu sors de ta cellule ?

Comment est-ce que tu occupes ton esprit ?

Nous savons que tu n’as pas de livres et que tu en souffres. Nous savons que tu nous parles « dans ta tête ». Nous savons que tu as des codétenues, mais tu nous as dit très brièvement « ça, ça change tout le temps ». Nous savons d’après les témoignages, que les changements de codétenus ou de cellule peuvent être très difficiles à vivre pour les prisonniers car ils chamboulent l’équilibre précaire qu’ils essayent de se construire.

Photo : Élisa Shriqui

Depuis ton arrestation, nous avons reçu des messages de tes amis et de tes collègues. Tous sont profondément affectés par ce qui t’arrive, et souffrent de ne pas pouvoir agir. Au fil des jours, c’est une foule qui se lève pour t’apporter son soutien. Cette foule témoigne à quel point tu es exceptionnelle : tu te bats pour les autres depuis des années. Tu affrontes les obstacles avec courage. Tu es dotée d’une force intérieure extraordinaire. Tous ces témoignages nous rendent toujours plus fiers d’être tes parents, tes frères et sœur, tes proches. Et nous aident à garder espoir.

Récemment, nous avons reçu une très belle lettre. Elle souligne, une fois encore, ton engagement auprès des autres. Par une anecdote, cette lettre rappelle un autre trait de ta personnalité, un chromosome commun à notre famille : Ta capacité à être dans la lune. Il s’agit de la fois où tu as oublié une valise dans le train, lors d’un de tes déplacements à Caen. Vu le nombre de sacs et objets que tu oublies partout, un bureau des objets trouvés pourrait porter ton nom.

Nous pensons à toi, à ton énergie, à ton intelligence, à ton sens de l’humour, à ta beauté, à ton étourderie, et à tout ce qui fait de toi cette personne magnifique que nous aimons si fort et qui nous manque terriblement.

À toi, notre Cécile adorée, qui te bats au quotidien pour les autres depuis des années. Aujourd’hui, c’est nous qui nous battons pour toi. Et nous ne lâcherons rien tant que tu ne seras pas de retour parmi nous. Sois forte.